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Trajet séraphique

Le navire broute les nuages, Lait des cieux sublimes, crémeux, Nous voguons sur cette mer d’écume laiteuse, Contournant le pâturage céleste, Tandis que l’œil du cyclope s’éteint, S’éteint en flambant, fermant sa paupière obscure.   Le lait de coton, ou coton de lait, Se noircit, il devient bleu comme du charbon.   La lumière nous brûle l’iris, La lumière nous perce les tympans, Mais, comme le reste, passe sous notre regard.   Je vois les montagnes souterraines, Les collines du Très-Haut, d’azur, De l’ici-bas on ne voit que des miniatures.   Odeur toute savoureuse de l’Aurore, Qui déroule en bas sa langue étoilée ; L’Angélus tremblant dans mes yeux Arrose le ciel sans que je ne le voie.   Je sens, là-dessous, au-delà des nuages, Je sens me traverser les épines roses, Ô ronces de l’Angélus qui s’abreuve de sang (Mais je lui donnerais volontiers le mien, encore, Jusqu’à ce que cette éternité ne meure). 2022.

La plume et la gangrène. Poèmes sur l'Ukraine et la Palestine

  « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », disait Albert Londres sur le rôle du journaliste. Et le poète ? Doit-il poursuivre son jeu et se détourner de ce que le réel a de pire ? L’heure n’est aujourd’hui plus à la plaie, l’heure est à la gangrène, avec ce pus de haine qui aveugle les autres ; mais l’heure est toujours à la plume.  Ces poèmes n’ont rien de travaillés, mais ils sont de la sorte plus sincères, et comme des cris dans un monde devenu presque sourd.  L’Ukraine saigne I L’Ukraine saigne, a saigné, On a ouvert son ventre de blé. Et dans sa poche pleine de sang, Cris et larmes d’un sanglot de douleur, Les gouttes pleuvent depuis les épis rouges, Transpercent la terre émue et acre, Qui ne dort plus, hélas, ne dormira pas Avant que les chars, avant que les bombes, Ne quittent les paysages de son monde. II Il y a une fille dissimulée sous les volutes De la ...

Lamentation dans l'exil

tu es non loin de moi à quelques horizons touchant du doigt cette aurore qui a la vie en soi qu’hélas le crépuscule touche aussi serpent scélérat craché par la troupe des démons que les hommes ont libérée de sa cage de fer   tu es non loin de moi mon aurore aux doigts rosés pourtant je ne vois pas ta silhouette au large quand je me couche sur la grève de sable blanc baisé par l’écume enroulé par les vagues adopté par les courants froids de l’océan je ne vois pas un seul morceau de ta peau n’ondule plus sur chaque flot ton long cheveu de châtaigne qui m’enlaçait autrefois le corps   je te sais non loin de moi ton cœur m’appelle te cherchant jusqu’au bout de mes cauchemars sans faillir devant les farces et les ruses des diables devant les rires sataniques je rirai plus fort pour le désir de retrouver ton visage qui chante je poursuivrai ma quête achevant le pèlerinage devant ton saint sourire après avoir terrassé d’une lance ...

La décade des solitudes

  Pour quelle raison, mes vieux anges enterrés, Vos pas clairsemés dans le sable décennal S’estampent-ils sur nos chemins blancs comme neige ?   Les années demeurent des solitudes, Pelés, nus sont les cyprès de l’enfance, Perché sur le promontoire des siècles, Vos visages de lumière sourient !   Mais ces mille soleils sont des lueurs de rêve, Et le paysage enneigé des terres plates Perdure quand bleuit l’aurore de l’été.   Les années demeurent des solitudes ; Les offices, dégoulinant d’encens Et de nos souhaits creusés dans l’oubli, Ne sont que des calvaires ajournés.   Une question, ô menhirs de nos mémoires : Rêvassez-vous dessous la ligne d’horizon ? Soyez lunaires, jusqu’à notre propre songe.   Les années demeurent des solitudes, Vous entendez vos rires et vos joies, Vous vous écoutez chanter, bavasser, Et vous dormez bien sans dormir jamais ! Âmes damnées ! Qu’entendons-nous ? Qu’écoutons-nous ? D...

Un brin de souvenir

J’ai vu une fois ton visage illuminé dans un brin de souvenir, et dès lors j’ai voulu le retrouver, lieu de mémoire de ma mémoire et lieu sans mémorial risquant de disparaître dans ma folie ou dans la vieillesse des années. J’ensemence mon champ jusqu’à l’épuisement. Vient la nuit soudaine qui m’accable, sortie d’un cauchemar oublié, enterré dans ce champ, et je crains autour les ombres froides qui versent des larmes putréfiées et des larves acides. Et dans cette éclipse où tout gèle sans mourir vraiment, j’ensemence le champ de ma mémoire diluvienne. J’ai vu ton visage illuminé dans un brin de souvenir ; j’ai vu ton visage dans les flots bleus d’un lac de lessive ; j’ai vu ton visage dans la pâleur de la lune, et l’astre glacé de nos sommeils labyrinthiques devint pour moi un soleil dans un jour sans couleur, l’épiphanie de l’éveil. Je vois ton visage sur la pupille de mes yeux ; toute ma peur s’est dissipée, comme les angoisses balayées par la lumière que ton souv...

Des oiseaux dans tes yeux

Il y a des oiseaux qui se cachent à l’intérieur de tes yeux, ces oiseaux n’ont aucune couleur, Ils se reposent sous le soleil de ta paupière, Dorlotés par le chatoiement de tes cils, À l’ombre des vagues du monde, souverains endormis dans le nid de ton iris, à l’ombre des yeux sans plumage, où ne sommeille que l’image floue d’un miroir (miroitement sans profondeur, miroitement ne touchant le fond d’un ciel de caverne), Tes yeux comme des anges au bec agrume, Tes yeux sont deux grottes rondes et profondes, le terrier des oiseaux célestes abandonnés par les cieux, tombés des branchages où poussent des fruits inconnus, Oiseaux perdus s’étant couchés dans le creux de ton visage, baignés par l’aube éternelle nichée dans la prunelle, Car la prunelle est celle des plumes indicibles que les mots s’attachent à se détacher, Plumes invisibles dont les nuances ne sont pas connues des yeux d’homme, Ô ce regard, ce regard immense, ce regard de colosse englouti par la grande mélanco...