La plume et la gangrène. Poèmes sur l'Ukraine et la Palestine
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie », disait Albert Londres sur le rôle du journaliste. Et le poète ? Doit-il poursuivre son jeu et se détourner de ce que le réel a de pire ? L’heure n’est aujourd’hui plus à la plaie, l’heure est à la gangrène, avec ce pus de haine qui aveugle les autres ; mais l’heure est toujours à la plume. Ces poèmes n’ont rien de travaillés, mais ils sont de la sorte plus sincères, et comme des cris dans un monde devenu presque sourd.
L’Ukraine saigne
I
L’Ukraine saigne, a saigné,
On a ouvert son ventre de blé.
Et dans sa poche pleine de sang,
Cris et larmes d’un sanglot de douleur,
Les gouttes pleuvent depuis les épis rouges,
Transpercent la terre émue et acre,
Qui ne dort plus, hélas, ne dormira pas
Avant que les chars, avant que les bombes,
Ne quittent les paysages de son monde.
II
Il y a une fille dissimulée sous les volutes
De la guerre, elle a les pieds poussiéreux,
Mais elle marche d’une marche sans destination,
Comme un fantôme dans le vague du vrai.
Elle se balade le long des décombres incendiés,
Sa marche incandescente fulmine les balles.
La fille a la peau qui s’accroche aux coquillages,
Ils sont nacrés comme des perles, ces bijoux enrobés
Par la chaleur d’un cuir délavé et presque froid.
Oh ! son ventre gronde jusqu’au ciel !
La fille a faim, elle a toujours eu faim,
Regarde ces carcasses grillées qui s’épanchent,
Dessous les gravats, dessous les immeubles crevés,
Tu trouveras bien ta pitance, ô fille qui a faim !
Non, elle ne veut pas, non, elle ne mangera pas,
La fille dont le cri hurle une agonie mal chantée.
Sur tout son corps jaune il y a des marques,
Marques des veines qui ont bouilli
Derrière la peau ; le bleu ne parcourt plus ses veines,
Ses veines parcourent l’Ukraine, elle traîne
Ses seins décrochés et ses intestins éventrés,
Rampant d’un pas lent le long de l’hiver.
III
Général Hiver ne viendra pas pour sauver
Les enfants aux doigts de glace !
Il reste terré dans son ombre,
Creusée dans le mur de sa tombe,
Où il ne dit rien, on dirait qu’il sommeille…
Regarde, regarde ! Ses paupières remuent,
C’est le signe des mers qui galopent dans la pupille.
Viendra-t-il, le Général Hiver, sauver ses fillettes ?
Il ne viendra pas, sinon pour pleurer,
Dehors, au-delà de sa fenêtre brillante de crasse,
L’une de ses fillettes poignarde l’autre,
Avec un sourire carnassier qui fait peur au monde.
IV
Le pays aux lacs de sang,
Qui n’en finira jamais de mourir, hélas,
Qui s’éteignait hier pour se rallumer demain.
L’Ukraine saigne, a saigné,
Mais l’Ukraine n’est pas encore tombée !
2022.
Dans les veines de Rima Hassan. Réponse à Pierre Perret
Dans les veines de Rima Hassan
Coule le prix des innocents
Dont l’âme trop tôt est montée
Son sang est le sang des massacres
Son sang est cette voix de révolte
La voix humaine
Son sang est l’eau de l’espoir
Quel sang circule dans les veines de Rima ?
Rima pourrait-elle être vaincue par des rimes ?
C’est le poète de pacotille qui plongeant dans l’abîme
Dans l’infecte discours du barbare
Détourne son regard des crimes les plus odieux
Détourne son regard du bon côté de l’Histoire
Demandons à Pierre Perret
De quelle couleur est le sang des plaies des enfants morts
Et des corps démembrés sur les rives de Gaza
Ils ont la couleur des martyres !
Dénoncent les saints de tous les cieux
Et Pierre se tait.
Pauvre Pierrot !
Qui a pris pour du sang
L’eau trouble qui circule
Dans ses veines
Le jus de l’opprobre !
Dans les veines de Rima Hassan
Coule un sang invaincu
Le sang d’une Palestine qui ne mourra jamais
Le sang de Rima est le sang des héros
De ceux qui n’abdiquent qu’avec la mort
Que libre soit la Palestine !
Que libres soient les Palestiniens !
Et que le sang de Rima Hassan
Coule dans nos veines !
2024.
« Dehors, il y a ce grand cri des temps… »
Dehors, il y a ce grand cri des temps,
L’immense horreur qui ploie le dos de l’humanité entière.
De qui est la main qui tient cette faux noire ?
C’est cette grande ombre, là-bas, au coin,
Qui a le parfum des charniers et à la bouche
Le soupir définitif des enfants qui ne jouent plus.
Dehors, il y a cette grande ombre,
Aux mains si humaines, si humaines…
Dehors, il y a cette grande ombre,
Au regard si humain, si humain…
2025.
Le sang de Palestine
Ne t’es-tu jamais coupé le doigt ?
N’as-tu jamais vu sortir cette pluie vermeille
De ce vaste corps aux mille fleuves bleus,
Jus des abysses aux ténèbres pourpres.
Ouvre-toi donc le bras, ouvre-toi le cœur !
Regarde l’eau de vie glisser son nez dehors,
De quelle couleur est-il, ce sang sorti du lit ?
Le sang des Palestiniens est rouge comme le sang
Dans ton bras, le sang de ton vaste corps.
Le sang des Palestiniens est rouge comme le tien
Car c’est notre sang qui coule dans leurs veines
Et c’est leur sang qui serpente dans notre corps.
Vois ce sang sur les vieilles murailles de Gaza,
Sur les églises détruites de Cisjordanie,
Vois ce sang éclabousser les mosquées de feu,
Et ces visages d’enfant détruits,
Et ces grands trous d’obus,
Où croupi le lait des mamelles déchirées.
Vois enfin ces ruisseaux devenus des mers,
Bientôt des océans de calvaire,
Cette mer rouge mal placée, ces eaux déplacées
Qui ont fui des ventres et des crânes,
Cette mer morte au centuple.
Tu vois maintenant, n’est-ce pas,
La couleur pourpre de Palestine ;
Tu vois, maintenant, par tes yeux,
Le sang des martyrs de l’histoire future.
N’est-il pas rouge comme le tien, comme le nôtre ?
C’est notre sang que l’armée d’Israël répand en Palestine !
Dans chaque Palestinien qui verse son sang,
Pour chaque souffle d’enfant brisé par le tonnerre des ogives,
Pour chaque cri et pour chaque pleur et pour chaque douleur,
C’est notre humanité qui gît meurtrie sous la poussière,
Ce sont les cris, les pleurs et les douleurs de notre race
Qui ébranlent la Palestine, où la race humaine s’anéantit.
Entendrons-nous encore les rires et les fous rires,
Les joies et les éclats de voix des enfants,
Sur les rives de Gaza et au cœur de la Palestine ?
Entendrons-nous encore, pour les décennies à venir,
Pour les siècles qui nous suivront et traceront l’histoire,
Ces rires et ces fous rires, ces joies et ces éclats de voix,
Qui sont les nôtres, qui sont ceux des Palestiniens,
C’est-à-dire l’âme de cette terre ?
L’Âme Humaine pousse un long soupir d’agonie,
De désespoir immense comme dans les temps
De guerre, de massacre et de génocide,
L’Âme Humaine pousse un long vent froid sur nous,
Et dit dans son regard foudroyant de larmes :
Mes enfants sont perdus ;
Les uns ont les mains sales,
Les autres ont perdu la vue,
Certains enfin se sont bandés les yeux
Avec des doigts rouges.
Mes enfants sont des monstres !
Je pleure, non seulement de tristesse,
Mais goûtez mes larmes et vous les trouverez
Rongées par le sel,
Car je pleure par dégoût et par honte.
Mes enfants sont des monstres,
Et j’ai le mal d’être mère,
Que de voir le sang de ma progéniture
Répandu par des scélérats aux bottes noires.
Je suis fatiguée
De voir mon sang
Assécher les veines
De mes enfants.
2025.
Entends-tu ce bruit dans l’air ?
Il y a un bruit de cloche fêlée dans l’air,
Qui ressemble au cri d’un minaret qui s’écroule,
Ne le sens-tu pas secouer tes tympans couverts de cire,
Sceau de ton ignorance perpétuelle et sadique ?
Il y a un bruit de cloche fêlée dans l’air,
Tu viens me dire que ce sont les notes d’une chanson,
Avec ton sourire putride de diable du Mardi Gras,
Tandis que s’élèvent des voix d’outre-tombe pour l’oraison.
Il y a un bruit de cloche fêlée dans l’air,
N’entends-tu pas ce refrain métallique harassant,
Ce calvaire étouffé sous des lanières de cristal,
N’entends-tu pas le rire lourd du boucher de Tel Aviv ?
Il y a un bruit de cloche fêlée dans l’air,
Et tu n’as à l’oreille que tes propres plaintes,
Que dans la pupille ton propre reflet dans le miroir.
Il y a un bruit de cloche fêlée dans l’air,
Mais tu préfères tarir ta voix si tonitruante,
Ou relâcher les puanteurs de ta langue déliée.
Tu dis ne pas écouter ce bruit assassin de cloche,
Est-ce un crime ? Tu as du sang séché sous les ongles,
Et ton propre regard tombera en poussière face au Temps.
Il y a ce bruit de cloche fêlée dans l’air,
Qui tourbillonne comme l’ouragan d’une funeste apocalypse ;
Tu n’entends rien, tu ne dis rien, mais tu dis tout,
Et ton nom est marqué au fer rouge sur la colonne
Infernale de ceux qui ont mangé leur pain devant les mendiants
Et poli les balles qui trouaient la peau de leurs frères.
2025.
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