Un brin de souvenir
J’ai vu une fois ton visage illuminé dans un brin de souvenir, et dès lors j’ai voulu le retrouver, lieu de mémoire de ma mémoire et lieu sans mémorial risquant de disparaître dans ma folie ou dans la vieillesse des années.
J’ensemence
mon champ jusqu’à l’épuisement. Vient la nuit soudaine qui m’accable, sortie d’un
cauchemar oublié, enterré dans ce champ, et je crains autour les ombres froides
qui versent des larmes putréfiées et des larves acides. Et dans cette éclipse
où tout gèle sans mourir vraiment, j’ensemence le champ de ma mémoire
diluvienne.
J’ai vu ton
visage illuminé dans un brin de souvenir ; j’ai vu ton visage dans les
flots bleus d’un lac de lessive ; j’ai vu ton visage dans la pâleur de la
lune, et l’astre glacé de nos sommeils labyrinthiques devint pour moi un soleil
dans un jour sans couleur, l’épiphanie de l’éveil.
Je vois ton
visage sur la pupille de mes yeux ; toute ma peur s’est dissipée, comme
les angoisses balayées par la lumière que ton souvenir projette autour de
moi : ton visage n’est ni dans ce lac, ni plaqué contre la lune effrayante
comme un œil nocturne : ton visage est en moi et se reflète partout où je
vais et où j’ai peur. Partout où le froid tarit mon sang et où les engelures
poussent tels des champignons enflammés, ta lumière alimente mes veines et
soigne mes membres de la pourriture du gel.
Je vois ton
visage dans mes pupilles, et ta lumière me nourrit jusqu’à la mort. Et ta
lumière éblouit la nuit soudaine, désagrège le cauchemar qui retourne dans l’oubli,
éclaire les ombres froides qui s’écroulent en poussière invisible. Et ta
lumière ensemence mon champ.
J’ai vu ton
visage illuminé dans un brin de souvenir. Je te vois maintenant dans un brin de
vie, un faisceau d’âme qui transcende tout et qui est en moi comme un souffle,
comme le battement d’un cil, la vibration d’un pouls.
Depuis tout ce temps, tu te cachais en moi, et je t’ignorais car j’ignorais que sous mes yeux tu avais disparu pour renaître en moi.
2024.
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